Le Communicateur, le journal de Motion Canada, publie deux fois par an. Il est plein de perspicacité d’affaires, des nouvelles d’industrie et des conseils pratiques.
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32 Le COMMUNICATEUR P R O D U C T I V I T É G GAGNER PEUT S'AVÉRER PARFOIS AUSSI dangereux que perdre. Citons le cas de James Altu- cher, blogueur, baladodiffuseur et provocateur. Remontons à 1998, alors qu'il venait tout juste de vendre son entreprise de conception Web Reset Inc., pour 10 millions de dollars. Avec cette manne, il se donne pour mission de donner une leçon au marché boursier. Sa première transaction? Dans ses propres termes, il « a englouti tout son argent » dans une entreprise de logiciels dont il a oublié le nom. Mais il se souvient de ceci : en une heure, il avait réalisé un beau profit d'un million. Ce gros lot témoignait de son génie. Et il s'apprêtait à conti- nuer sur cette lancée, en gagnant quotidiennement un autre million de dollars pour le restant de ses jours, en défiant le marché. Ga g n e r u n m i l l i o n d e d o l l a r s e n u n e heure vous rend arrogant et sûr de vous. Gagner est biologique, voire hormonal. De nombreux chercheurs ont étudié les effets biologiques de ce qui arrive véritablement aux gens lorsqu'ils gagnent – ces joueurs de tennis qui battent leurs adversaires, ces champions d'échecs qui triomphent de leurs rivaux et ces spéculateurs qui se jouent des marchés boursiers. Le secret est la testostérone, une hormone qui transforme les gentils jeunes garçons en machos combatifs, au torse velu et obsédés par le sexe. Mais il y a plus. Bien plus. Les biologistes donnent à cette mentalité imbue de testostérone qui perpétue un cycle de victoires sans fin le nom d'« effet du gagnant ». En voici une description. Deux animaux s'apprêtent à se battre. Qu'il s'agisse de poissons rouges, de macaques rhésus ou d'être humains, leur niveau de testosté- rone monte et réoriente leur système biologique en vue du combat, en augmentant leur force, en accé- lérant leur temps de réaction et en réduisant leur peur. Et ils s'affrontent. Et c'est là que les choses deviennent intéressantes : le niveau de testosté- rone des gagnants monte en flèche, parfois de jusqu'à 1000 %. Quant aux perdants, le leur dimi- nue d'autant. À leur combat suivant, le gagnant bourré de testostérone aura bien plus de chances de gagner. Et le perdant de perdre. Autrement dit, la testostérone est l'élixir du gagnant et a l'effet d'une « spirale vers le haut autorenforçatrice », selon John M. Coates, cher- cheur agrégé à l'Université Cambridge en neuros- ciences et ancien spéculateur de Wall Street. Dans son livre The Hour Between Dog and Wolf: How Risk Taking Transforms Us, Body and Mind, J. Coates décrit que non seulement la testostérone est sécrétée plus abondamment lorsque nous gagnons, mais qu'elle l'est aussi dans un état heu- reux en boucle de réaction, nous transformant biologiquement et psychologiquement en per- sonnes arrogantes et sûres d'elles, plus assidues et disposées à prendre des risques et qui croient en elles-mêmes et en leur habilité de gagner et de continuer à gagner. (Même si les femmes pré- sentent des niveaux de testostérone beaucoup plus bas et que leur biologie de gagnantes a moins été étudiée, pour la plus grande part, la recherche a dégagé un effet semblable, à une échelle moindre : une victoire produit plus de testosté- rone et une plus grande quantité de testostérone entraîne plus de victoires.) Mais gagner peut parfois se retourner contre vous. Au royaume des animaux, selon J. Coates, « Lorsque la testostérone atteint son apogée, l'ani- mal connaît une performance optimale, son sommet. Mais si la testostérone continue d'aug- menter, l'animal prend des risques de plus en plus stupides », et c'est exactement ce qui est arrivé à J. Altucher. Peu après son exploit d'un million de dollars de profit, il a placé tout son argent sur une autre entreprise de haute technologie au nom ronflant de Go America. Il s'attendait à continuer de gagner un million de dollars par jour. Mais cette esbroufe et cette croyance exagérée en lui- même brouillaient son jugement. En un clin d'œil, J. Altucher perdit un million de dollars. Et un autre. Et continua de perdre de l'argent. Tout comme la victoire, l'échec possède une biologie. Appelons-la « l'effet du perdant ». En plus d'une baisse probable de testostérone sapant son assurance, sa motivation et son énergie, J. Altucher subissait l'effet d'une autre hormone, le cortisol. Une poussée de cortisol a l'effet presque opposé à celui de la testostérone, transformant les gens en pessimistes stressés et irrationnels, qui paniquent et abandonnent. J. Altucher décrit sa descente en chute libre, alors qu'il perdait presque tout. Au cours de la vie, à la poursuite de nos rêves de propriétaires d'entreprise ou de cadres inter- médiaires, nous vivons ces mêmes montagnes russes biologiques. Quand les choses vont bien, notre biologie réagit. Nous connaissons tous l'ef- fet de la victoire – l'envol vers l'Élysée et l'annonce que nous sommes le fils ou la fille des dieux. Et alors, nous pourrions prendre trop d'assurance, devenir même euphoriques, croire que nous continuerons à gagner, et notre prise de risque devient, pour reprendre J. Coates, « de plus en plus stupide ». Selon Lord David Owen, politicien et neuroscientifique britannique, la victoire ou « possession d'un pouvoir qui a été associé à un succès monumental » peut entraîner un « syn- drome d'orgueil », un état produit par des vic- toires à répétition mène à « un zèle messianique, une assurance excessive, le mépris d'autrui, la perte du contact avec la réalité et le recours à des actes imprudents et impulsifs ». Et l'échec? Nous savons ce qu'on ressent en cas Gagner et perdre : La science du succès ( et de l'échec ) P A r C A M I L L E S w E E n E y E t J O S h G O S F I E L D © iStock / akindo